Chaque année, des millions de tonnes de déchets prennent le chemin des poubelles des cuisines commerciales du pays. Si l’industrie de la restauration n’est pas prête à devenir zéro déchet, plusieurs alternatives s’offrent aux restaurateurs pour réduire l’effet de leurs résidus sur l’environnement et sur leur portefeuille. Pourvu qu’ils soient prêts à y mettre les efforts !
« Je ne connais pas un restaurateur qui ne souhaite pas réduire ses pertes ; le défi, c’est de trouver des façons d’y arriver efficacement », constate Véronique Perreault, chercheuse au GastronomiQc Lab, une unité mixte de recherche menée conjointement par l’Université Laval et l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ).
Un programme de réduction des déchets peut s’avérer un investissement payant en restauration, par exemple en diminuant les pertes et en améliorant du même coup le food cost ou encore en renforçant l’image de marque. Cependant, il ne faut pas penser qu’il se réalisera sans effort et sans dénouer les cordons de la bourse, prévient Marthe Beaumont, conseillère en environnement à Recyc-Québec.
« Il faut vraiment voir cela comme un investissement. La mise en place prend du temps et de l’argent, mais à long terme, ça peut aussi s’avérer très intéressant, fait-elle remarquer. Surtout, il ne faut pas partir en peur et essayer de tout faire en même temps. »
Le compost, pas une solution magique
Lorsque le Groupe St-Hubert s’est donné la mission de réduire la quantité de matière générée par ses restaurants qui allait prendre le chemin des poubelles, ses équipes ont effectivement compris que ce type d’aventure allait nécessiter du temps, confie Josée Vaillancourt, directrice communication et Fondation de l’entreprise.
L’un des premiers gains réalisés par son programme de développement durable aura été de réduire l’empreinte environnementale des emballages de livraison. On a donc éliminé la styromousse – une matière non recyclable – et optimisé la taille des boîtes pour éviter l’emballage superflu. Selon ses calculs, St-Hubert a ainsi pu éliminer jusqu’à 412 tonnes de matières qui auraient normalement pris le chemin des centres d’enfouissement.
Le groupe a ensuite concentré ses efforts sur la mise en place d’un système de compostage, une tâche qui s’est avérée beaucoup plus ardue que la réduction des emballages. « On a embauché quelqu’un avec qui l’on travaillait depuis des années pour nous aider à faire ce changement. Il s’est consacré à temps plein pour réaliser ça, mais on a rencontré plusieurs difficultés », précise Josée Vaillancourt.
C’est une stratégie importante pour une entreprise de cette taille, rappelle Marthe Beaumont. « Il est important d’impliquer toute l’équipe, mais c’est tout aussi important d’avoir quelqu’un qui dirige le projet. Si c’est la responsabilité de tous, il y a un risque que ça devienne la responsabilité de personne », reconnaît-elle.
Selon Josée Vaillancourt, la principale difficulté pour intégrer le compostage dans une entreprise de la taille de St-Hubert vient de l’absence d’uniformité des normes entourant la pratique d’un endroit à l’autre.
« Ce que l’on peut ou doit faire, le type de contenant, le type de matière que l’on peut composter, tout ça varie énormément d’une ville à l’autre. Parfois la ville aide quand d’autres fois, il faut passer par des collectes privées et, dans certains cas, il n’y a tout simplement rien de disponible », raconte-t-elle.
Les municipalités elles-mêmes peuvent être présentes pour soutenir les entreprises, dont les restaurants, à mettre en place leurs politiques de recyclage et de compostage, rappelle Marthe Beaumont. En plus d’informer sur ce qu’il est possible de faire ou pas sur leur territoire, elles en connaissent aussi généralement tous les fournisseurs de service de collecte. Certaines municipalités offrent également des programmes pour aider les entreprises à mettre de l’avant des pratiques plus éco-responsables et peuvent attribuer des subventions. D’autres sont elles-mêmes en mesure d’offrir des services de collecte aux entreprises.
De son côté, Recyc-Québec offre plusieurs programmes pouvant fournir soutien et information aux entreprises du secteur de la restauration désirant mettre la main à la pâte pour produire moins de matières résiduelles.
L’option est intéressante lorsqu’elle est disponible, car les services privés de collecte de matière organique peuvent s’avérer très coûteux, mentionne Josée Vaillancourt. En fait, leur prix varie énormément d’un fournisseur à l’autre, remarque-t-elle. Si bien que, dans certains cas, la facture s’est avérée trop élevée pour devenir une option envisageable par les franchisés de Saint-Hubert.
La situation ne va pas mieux depuis que la pandémie est venue limiter les marges de profit, confie la directrice. « Qu’on le veuille ou non, quand les temps sont durs, les dépenses qui ne sont pas associées à des revenus directs sont plus difficiles à justifier », observe-t-elle.
Réduire les pertes, réduire les coûts
« C’est pourquoi il ne faut pas oublier que le recyclage et le compost doivent être en quelque sorte considérés comme des solutions de derniers recours, » souligne Marthe Beaumont.
Selon Véronique Perreault, les restaurateurs soucieux de réduire leurs pertes doivent donc prendre le temps de vérifier quels types d’aliments se retrouvent au fond de leurs bacs et ensuite réfléchir aux raisons pour lesquelles ils y sont.
C’est dans cette optique qu’elle et son équipe ont mené des recherches pour explorer de nouvelles façons de faire afin de réduire les pertes liées aux activités de restauration. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que tant sur le plan financier que sur celui de l’impact environnemental, toutes les matières qui se retrouvent à la poubelle n’ont pas la même valeur », remarque-t-elle.
Remplir chaque jour une poubelle pleine d’épluchures d’oignons aura beaucoup moins d’impact que si l’on doit jeter deux à trois morceaux de viande perdue par service, et ce, même si les volumes sont alors beaucoup moins importants. De la même façon, l’élimination de gnocchis faits maison a un grand coût si l’on considère la main-d’œuvre et l’énergie nécessaires pour les préparer, mais leur impact environnemental est plus faible, remarque la chercheuse.
L’équipe de Véronique Perreault a d’ailleurs travaillé avec le restaurant de l’ITHQ pour mettre en œuvre le résultat de ses recherches dans un contexte pratique. « En travaillant avec Véronique et son équipe, on a identifié plein de petites choses que l’on a essayées tranquillement et qui ont fini par faire une grande différence », remarque Jonathan Lapierre-Réhayem, chef exécutif du restaurant de l’ITHQ.
Parmi ces petites choses, notons entre autres que l’on a cessé d’offrir systématiquement du pain à tous les convives, qui doivent maintenant le demander pour en obtenir. On a aussi expérimenté différentes techniques et conceptions de menus pour s’assurer d’utiliser au maximum toutes les parties des aliments transformés.
Jonahan Lapierre-Réhyem met toutefois en garde contre la tentation d’essayer de tout valoriser sans réfléchir. « Parfois, il est techniquement possible de faire quelque chose, mais ça utiliserait tout simplement une main-d’œuvre et une énergie dont on a besoin ailleurs », prévient-il.
« Plus il y a d’options dans un menu, plus il y a un potentiel de perte. Ce sont des choix qui ne sont pas toujours évidents, mais c’est certain que la gestion du menu fait partie de l’équation », ajoute-t-il.
Donner plutôt que jeter
Malgré tous les efforts déployés, certaines situations vont entraîner des pertes qui sont en quelque sorte inévitables. « Même avec la meilleure planification du monde, si tu t’attendais à remplir ta salle un beau samedi d’été et qu’une tempête surgit au mauvais moment, tu vas avoir des pertes », remarque le chef exécutif.
Pour limiter ce type de pertes, les organismes communautaires peuvent être preneurs : ils vont s’assurer que les aliments servent avant leur péremption, rappelle Marthe Beaumont.
L’organisme La Tablée des Chefs, présent un peu partout dans la province, aide les restaurateurs qui le désirent en les mettant en relation avec des organismes capables de revaloriser leurs surplus pour les acheminer vers les plus démunis. Voilà une bonne façon d’éviter le gaspillage tout en rapprochant son établissement de la communauté, remarque la représentante de Recyc-Québec.
L’établissement de relations d’affaires avec des distributeurs et des producteurs locaux peut également être une bonne façon de réduire l’empreinte écologique d’un établissement. Non seulement les produits fournis par ces fournisseurs ont généralement parcouru moins de chemin, mais ces derniers peuvent être plus flexibles dans la prise de commandes, ce qui aide à éviter le gaspillage.
Aussi, les petits producteurs locaux sont souvent plus ouverts à l’adoption de méthodes qui évitent de suremballer les produits, comme l’utilisation de bacs réutilisables pour le transport plutôt que de boîtes et de sacs à usage unique.
« On sous-estime souvent ce que l’on peut accomplir pour réduire les emballages, pour autant que l’on mette ses fournisseurs dans le coup », souligne Marthe Beaumont.
Prendre son temps, pendant qu’il est encore temps
La mise en place d’une bonne politique de réduction des déchets est un travail de longue haleine. Il est à faire en considérant toutes les facettes de son organisation et en impliquant l’ensemble de ses équipes, résume la spécialiste.
C’est donc une tâche qu’il faut prendre le temps de bien faire si l’on veut connaître le succès ; le luxe de prendre son temps est une option qui pourrait ne plus être disponible encore très longtemps pour les entreprises qui ne s’y seront pas déjà mises.
En effet, le gouvernement du Québec devrait dévoiler un nouveau règlement obligeant toutes les entreprises de la province à mettre en place une politique de gestion de leurs matières résiduelles. Prévue initialement pour 2025, l’adoption de cette mesure pourrait toutefois être retardée.
« Il y a encore du temps, mais c’est certain que plus on s’y met rapidement au lieu d’attendre à la dernière minute, plus on a de chances que ça se passe bien », conclut-elle.