dark_mode light_mode
keyboard_arrow_up
 
Point de vue

On est 19 000… permis de se mobiliser

 
11 juin 2024 | Par Robert Dion

Un secteur aussi important que celui de la restauration qui affiche si peu de mobilisation, c’est triste ! Peu importe les associations, les tables de rencontre ou les événements mobilisateurs, l’industrie n’est pas au rendez-vous quand vient le moment de montrer sa grandeur. Vous êtes certes disponibles pour visiter un salon de ventes ici et là, mais quand vient le temps de faire entendre votre voix, c’est le silence total.

Prenons en exemple la bataille autour des frais de réservation. Il y a bien eu quelques sorties dans les médias, et des posts sur les réseaux sociaux s’affichent à l’occasion. Pourtant, selon des chiffres avancés dernièrement, on parle de pertes de 100 000 $ par année et jusqu’à 30% d’annulations dans les restaurants.

Ce fléau est omniprésent dans les discussions de l’industrie depuis un bon 10 ans. Mais qu’avez-vous fait pour vous exprimer dans ce dossier ? À part ajouter en douce sur vos plateformes des frais de réservation, comment avez-vous manifesté votre désir de changement ?

Ce ne sont pas les moyens qui manquent ; c’est la détermination ! Si les pertes liées aux annulations ou autres frais sont vraiment une question de survie et de rentabilité, ça mérite bien un peu de temps dans votre horaire.

L’importance de consacrer du temps à la coopération pour dynamiser et unifier l’industrie n’est pas à prendre à la légère non plus. On est disponible pour une soirée de gala organisée par une bonne œuvre ou on donne du temps et des produits (et même des repas), mais on ne dispose pas de temps pour faire une lecture sur les sujets d’actualité ou de formation ?

Vous, les restaurateurs indépendants, êtes beaucoup plus puissants que l’ensemble des chaînes et groupes quand vous arrivez à parler d’une même voix. Faites-vous entendre. Pour cela, vous devez être informés et vigilants – cela passe notamment par un abonnement à notre infolettre et par un suivi de l’actualité de l’industrie. Sans être la ressource ultime, HRImag est à mon avis un point de départ incontournable pour les gens de notre industrie qui souhaitent évoluer.

J’espère que les prochaines années seront celles de propriétaires, exploitants, dirigeants et acteurs du secteur plus impliqués et professionnels, qui chercheront à faire autrement que ce qui a toujours été fait !

 
 
Dossier

Travailler en famille

 
4 juin 2024 | Par Marie Pâris, Bastien Durand

Les familles sont nombreuses dans l’industrie des HRI. Mais que l’on travaille en couple, que l’on forme la relève familiale ou que l’on fasse des réunions de trois générations, l’aventure de l’entreprise familiale comporte de nombreux défis – et des avantages ! Zoom sur trois familles bien différentes, mais tout autant intéressantes.

Sophie Allaire et Étienne Demers : la belle équipe

En juillet, ça fera cinq ans que « la belle histoire » a débuté. Enfin, sept ans si l’on remonte à la rencontre entre Sophie Allaire, 34 ans, et Étienne Demers, 39 ans, aujourd’hui amoureux et copropriétaires du restaurant La Belle Histoire à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson, dans les Laurentides. « Dès le début, on savait qu’on avait deux rôles distincts mais complémentaires pour monter notre affaire », note Sophie.

Elle est sommelière, il est cuisinier : l’accord mets et vins est une évidence, et ils décident d’ouvrir un restaurant. Leur couple, qui a jeté son dévolu sur les murs de l’ancien Bistro à Champlain, s’est bâti autour de ce projet qui mène aujourd’hui leur vie. « On a eu la même vision au départ. Je me souviens qu’au moment de choisir la vaisselle, les mêmes envies sont venues, sans qu’on se concerte. C’était bien parti ! » sourit la sommelière.

Une rigueur indispensable

Les forces de chacun se sont affirmées au fil du temps. Titulaire d’un baccalauréat en communication, Sophie prend les devants en matière d’événementiel et de réseaux sociaux. Étienne, diplômé de l’ITHQ en gestion d’un établissement de restauration, s’occupe plutôt de la comptabilité. « On prend aussi une journée par semaine ensemble pour répondre aux clients et faire le travail de bureau », explique le chef.

La rigueur est la clé pour réussir. « Ça vient avec une organisation réfléchie. Il ne faut pas avoir peur d’essayer des choses, et les erreurs sont fréquentes, surtout au début », assure sa conjointe. L’ouverture du restaurant, la pandémie… Sophie et Étienne ont relevé ensemble beaucoup de défis. « Si tout avait été un combat, ce n’aurait pas valu la peine d’essayer », pense la copropriétaire.

Les chicanes arrivent quand même. Mais pour le couple, l’important est de savoir distinguer celles qui relèvent du stress au travail de celles qui sont plus personnelles. « Les moments où l’on s’accroche, c’est lorsqu’on n’a pas les mêmes difficultés pendant le service. On a du mal à se comprendre et on défend notre staff, évoque Sophie. La pression redescend assez vite, heureusement… »

« Avoir au moins un soir pour nous »

Pour le duo de passionnés, le plus compliqué est de trouver du temps à passer ensemble. « Il y a quatre soirs sur sept où l’on mange avec notre équipe au resto, mais on essaie d’avoir un soir pour nous deux dans la semaine », note Étienne. Le chef, qui est père, compose en outre avec une garde alternée. « Le fait de ne pas ouvrir en début de semaine me permet de voir ma fille dans son quotidien, à l’école ; et quand elle est avec nous, elle vient au resto… »

En raison de pas loin de 12 heures de travail par jour, le piège est de ramener la job dans la chambre à coucher. « On essaie de couper, mais il y a des moments stressants où le restaurant s’immisce dans notre vie privée. C’est notre réalité aussi. »


Les Germain : la dynastie hôtelière

À l’âge de 14 ans, Hugo Germain, fils aîné de Jean-Yves Germain, cofondateur de la bannière hôtelière éponyme, écrit dans une carte de Noël à l’attention de son père : « J’ai hâte d’aller travailler avec toi ! ». « Ce qu’il faisait avait l’air le fun… », raconte celui qui s’occupe aujourd’hui des opérations des hôtels Germain au Canada. Germain, c’était à l’origine une petite tabagie fondée par les grands-parents de Hugo dans les années 1950, affaire qui s’est ensuite orientée vers l’immobilier et la restauration. Une vingtaine d’années plus tard, Jean-Yves et sa sœur Christiane amènent l’entreprise vers l’hôtellerie.

Aujourd’hui, en plus de Hugo, la bannière compte trois autres Germain de la troisième génération : Laurie, vice-présidente aux ressources humaines, Clarah, directrice de l’expérience client, et Marie Pier, vice-présidente des ventes et du marketing. « Et on a plein d’enfants qui seront un jour peut-être impliqués dans Germain Hôtels », rit Hugo en détaillant l’arbre généalogique.

Les cousins arpentent les corridors des hôtels familiaux depuis leur plus jeune âge, tantôt accompagnant leurs parents dans leur tournée des restaurants, tantôt jouant à la réception ou dans la buanderie. « On a vu comment nos parents interagissaient avec tous les contributeurs dans l’entreprise et on a compris que la réussite ne venait pas sans le respect des artisans. En comprenant ça le plus jeune possible, ça évite de faire des erreurs plus tard, ça donne de la crédibilité auprès des collaborateurs et ça aide à évoluer, explique Hugo. Prendre le temps de passer par les cuisines quand on va dans un hôtel, aller dire bonjour à la gang… Ce sont des détails qui font la différence à la fin, qui permettent d’avoir un meilleur contact avec les gens. J’essaie d’inculquer ça aussi à mes enfants. »

Apporter son bagage à l’hôtel

Le fossé générationnel avec leurs parents et oncle ou tante, les cousins ne le sentent pas. Chacun fait valoir son avis, mais si une idée ne passe pas, ça n’est jamais à cause d’une incompréhension liée à l’écart d’âge. « Nos parents ont l’innovation tatouée sur le cœur ! s’exclame Marie Pier. Ils ont toujours été le genre de personnes à se lever le matin avec un million d’idées et à être très ouverts aussi à celles des autres. »

Les cousins Germain sont donc des « enfants de ». « Et ça va toujours être un enjeu ; c’est ça aussi, la réalité d’une entreprise familiale », reconnaît Marie Pier. Raison de plus pour faire valoir son expertise personnelle. La responsable des ventes et du marketing a notamment suivi des études en génie mécanique, « justement pour faire autre chose » que sa mère Christiane. « Finalement, j’ai réalisé que ce que j’avais appris pourrait être utile à Germain Hôtels. C’est ça qui m’a motivée à venir dans l’entreprise. »

Certes, les enfants connaissent la bannière de l’intérieur depuis toujours, mais ils tiennent aussi à amener chacun leurs connaissances personnelles pour y contribuer d’une façon différente des autres. Hugo évoque ses deux frères cadets, l’un étudiant à HEC, l’autre travaillant dans un cabinet de comptabilité et finance : « C’est une sage approche que de vouloir apprendre, d’aller voir ailleurs et d’aller chercher de l’expérience… Et naturellement, si un jour ils souhaitent se joindre à l’entreprise, ils auront la possibilité de le faire. » L’objectif, c’est « d’agrandir le coffre à outils ».

Une famille d’abord

Le modèle leur vient de la génération précédente : Christiane aux opérations et au marketing, et Jean-Yves, l’architecte financier, au développement et au volet construction. « Ils ont vraiment su développer leurs compétences respectives au fil du temps, tout en se rejoignant sur les valeurs. C’est ça, leur force », résume Marie Pier.

Parmi ces valeurs, il y a la famille, justement. « Passer Noël ensemble a toujours été très important pour nous », insiste-t-elle. Les collègues essaient de ne pas trop parler de travail en famille, mais quand ça arrive, c’est correct aussi. « On a beaucoup de plaisir à partager ça avec tout le monde. Et ça reste une business très accessible : tout le monde va à l’hôtel, tout le monde mange au restaurant… C’est le fun d’avoir l’opinion des autres », justifie Marie Pier.

Celle-ci préfère à l’expression « entreprise familiale », qui a une petite connotation de mom-and-pop shop, celle de « famille en affaires ». Il reste que, chez les Germain, travailler ensemble n’est pas une obligation, soulignent les deux cousins. C’était plutôt « une suite naturelle » pour Hugo, qui est arrivé à la bannière après trois ans au service de Krispy Kreme. « On n’élève pas nos enfants en leur répétant qu’ils se joindront à la bannière un jour, conclut Marie Pier. Nos parents ne nous l’ont jamais imposé non plus ; ça a toujours été un choix. »


Les Maltais : la famille Dooly’s

« Quand mon grand-père était aux manettes, on faisait nos fêtes ici, surtout pour le Premier de l’an. » Louis-Charles Maltais, 31 ans, propriétaire du Dooly’s Ste-Foy Duplessis, à Québec, est la troisième génération des Maltais à gérer l’entreprise depuis 1997. « Petit, je disais déjà que je voulais faire ça. » Le début de l’aventure familiale a commencé un peu par hasard. « J’ai voulu faire changement de la mécanique auto. J’en avais mon voyage… », confie Réal Maltais, 83 ans. Ami d’un gérant de salle de billard, il est tombé dedans sur le tard, à 57 ans. Une opportunité.

Pour « apporter » au commerce, le grand-père devient franchisé Dooly’s en 2002. « C’était quand même une bonne idée. Si on regarde aujourd’hui, les petits commerces sont tous regroupés. Dans le temps, on était un peu des précurseurs », lance Yves Maltais, 59 ans, qui a repris le Dooly’s de son père en 2008 après avoir quitté une « belle situation » en tant qu’ingénieur.

« Même si la décision a été difficile, ce changement de vie a été mon choix ; mon père ne m’a pas forcé, rapporte Yves. Tout entrepreneur rêve de garder son commerce dans la famille. » Malgré des amplitudes horaires beaucoup plus importantes, il savait dans quoi il embarquait, et l’idée d’avoir sa propre affaire l’a séduit.

« Chacun apporte sa force »

L’avantage du travail en famille, c’est que la passation se fait en douceur. « Je l’appelais quand j’en avais besoin, surtout au début ; mais ça a duré plusieurs années », confie le père de Louis-Charles, qui a optimisé la comptabilité du Dooly’s en mettant en place des outils informatiques plus performants. « C’est sûr que mon bagage d’ingénieur m’a aidé, confie Yves. Chacun apporte sa force. »

Louis-Charles avait 15 ans lorsque son père a repris le Dooly’s. Ce dernier a anticipé. « Je lui avais mis des contraintes », se souvient Yves. Il n’était pas réticent à ce que son fils reprenne l’affaire, comme il l’avait fait lui-même de son père, mais il voulait que son fils ait un minimum de formation. Après des tergiversations, Louis-Charles obtient un bac en administration et commence par travailler ailleurs qu’au Dooly’s, qu’il aime pourtant énormément. « Je n’ai pas vraiment eu le choix », note le fils. « Le deal, c’était que je lui dise lorsqu’il serait prêt ; on pourrait alors amorcer la passation ensemble » , raconte son père. En 2019, Louis-Charles était mûr.

Un attachement à vie

Comme 11 ans auparavant, la reprise s’est faite progressivement entre père et fils. « Au début, je suis resté en retrait », explique Yves. « Il y a aussi un sentiment d’attachement : c’est partie prenante de la vie de chacun », pense de son côté Louis-Charles, qui raconte que son grand-père venait encore travailler les dimanches pour jaser avec les clients.

« C’est peut-être un peu trop, parfois, réfléchit Yves. Je pense qu’on a cet aspect critique, et même si on veut donner des conseils, on en fait trop. » Un projet d’agrandissement du restaurant étant en cours, les plans de construction et les discussions avec le franchiseur se font en famille. Assis entre son grand-père et son père, Louis-Charles tourne la tête à droite, puis à gauche. « J’ai tout de même un devoir de réussite », rit-il.


Quelques familles de l’hôtellerie québécoise

  • Les Girard (Château Laurier, Québec)
  • Les Antonopoulos (Groupes Gray Collection et Corner Collection)
  • Les Milot (Le Dauphin de Drummondville)
  • Les Robitaille (Hôtels JARO)
  • Les Rioux (Hotel Riotel)

Quelques familles de la restauration québécoise

  • Les Abbatiello (Pizza Salvatoré)
  • Les Wolfe (Mandy’s)
  • Les Papagiannis (Restaurants Lafleur)
  • Les Martin (Restaurants Saint-Hubert)
  • Les Benny (Restaurants Benny&Co.)

Les familles sont une partie importante de l’industrie. Nous en citons quelques-unes, mais nous reconnaissons le travail de chacune d’entre vous.


 
 
Portraits

Dominique Roy : « Le futur est de plus en plus végétal »

 
31 mai 2024 | Par Marie Pâris

Course à pied, cuisine végane, guide Michelin : on a discuté à bâtons rompus avec Dominique Roy, chef originaire de Gatineau et aujourd’hui associé du restaurant Eleven Madison Park, à New York.

Dominique Roy arrive un peu en retard à l’entrevue. Il s’excuse : il est très occupé par le changement de menu de son restaurant, qui vient de lancer sa carte de printemps. Artichauts, asperges vertes, betteraves jaunes… Depuis sa réouverture après la pandémie, les légumes règnent en maître au Eleven Madison Park, qui propose désormais un menu sans aucun produit d’origine animale. Un changement audacieux pour le restaurant new-yorkais, premier établissement exclusivement végane de l’histoire du Michelin à être triplement étoilé.

Le « EMP » – comme l’appelle Dominique Roy – a remporté en 2017 la première place du World’s 50 Best Restaurants et il arbore ses trois macarons depuis 2012. Mais en 2020, la pandémie frappe et tous les restaurants ferment. Le chef propose alors son aide à l’un de ses amis, fondateur de l’OBNL Rethink Food, qui apporte des repas aux jeunes démunis. L’association allait dans les restaurants récupérer des restes alimentaires et épluchures, qu’elle cuisinait ensuite.

Alors que les besoins augmentent dans la foulée de la pandémie, le EMP et d’autres établissements rallument leurs fourneaux. « Pendant un an et demi, on a transformé notre cuisine pour préparer des plats destinés aux gens démunis et aux travailleurs de la santé. On faisait jusqu’à 6000 repas par jour », se souvient le chef, qui n’était accompagné au départ que de son associé Daniel Humm et d’une cheffe pâtissière. « Par la suite, on a pu embaucher une équipe de 10 personnes, qui a grossi jusqu’à 30 employés. On a fait un million de repas cette année-là. »

Virage végane

La pandémie a aussi poussé l’équipe à revoir sa façon de travailler. « Pendant cette période, on s’est vraiment questionnés sur le type de restaurant qu’on voulait rouvrir, raconte Dominique Roy. Ça faisait déjà plusieurs années qu’on voulait changer, qu’on parlait de supprimer certains produits comme le caviar. On avait atteint un très haut niveau, mais notre style de cuisine et notre format du menu restaient assez classiques. La fermeture était l’occasion de faire un changement radical. On a donc pensé à éliminer les poissons et les viandes. De là, on s’est dit : "Pourquoi ne pas être véganes ?" »

Le choix a été motivé non seulement par le fait qu’il permet de pousser la créativité en cuisine, mais aussi parce que le régime végane est meilleur pour la santé et pour la planète, souligne le chef, qui mange désormais des repas sans produits d’origine animale de cinq à six jours par semaine. « On sentait fort que c’était la bonne chose à faire. »

La transition ne s’est cependant pas faite sans inquiétude. « Je n’avais jamais cuisiné comme ça avant. C’était épeurant, confie-t-il. Je me demandais si on allait pouvoir faire des plats aussi bons qu’avant, si on allait pouvoir retrouver l’engouement qu’on avait avec nos anciens plats signature. » L’équipe jette les recettes avec lesquelles elle travaillait depuis 15 ans et recommence à zéro autour d’une nouvelle vision basée sur les végétaux.

« Je me suis rendu compte que certains produits ou ingrédients ne sont pas nécessaires pour créer des plats délicieux et luxueux – la crème, le beurre, le bouillon de volaille… On a réappris à faire des bouillons, et on arrive aujourd’hui à préparer des sauces onctueuses, umami et avec de la rondeur sans produit animalier, assure-t-il. Il y a tellement de légumes ou de grains qui ne sont pas assez utilisés ! Ça a changé ma vision de la cuisine. Si j’ouvrais un autre restaurant demain, il resterait à 90 ou 95 % végane. »

Prendre des risques

Quand l’EMP a rouvert il y a trois ans, c’était donc avec un nouveau menu complètement végane, qui change depuis chaque saison. Dès la réouverture, le restaurant a affiché complet pour les six mois à venir. En 2024, avec 12 menus véganes au compteur, il a reçu ses étoiles Michelin pour la troisième année consécutive. « On a donc vraiment réussi », affirme Dominique Roy.

Ça n’a pourtant pas été si facile, au début. Certains habitués n’étaient pas prêts à payer ce prix pour « ne manger que des légumes », et quelques critiques ont affirmé que ce virage était une lubie qui ne durerait pas. Depuis, la clientèle a changé : elle est notamment plus jeune et « très excitée à l’idée de manger complètement végane ». Et les anciens fidèles commencent tranquillement à revenir, y compris certains sceptiques. Le restaurant est aujourd’hui plus occupé que jamais. Pour le chef, le secret de ce virage réussi a été de savoir prendre un pas de recul sur la cuisine, et surtout d’oser faire quelque chose que les autres ne seraient pas prêts à faire.

Prendre des risques, c’est un peu ce que Dominique Roy a fait il y a huit ans lorsqu’il a pris un autobus avec une valise depuis Gatineau pour se rendre à New York. Diplômé de l’École hôtelière de l’Outaouais, il avait déjà travaillé dans quelques grandes maisons en Europe (Maaemo en Norvège, Mirazur en France) et fait de la compétition, et voulait continuer à se dépasser et à apprendre. « Malheureusement, il n’y avait pas d’étoilé au Canada à l’époque, regrette le chef. Les Michelin, c’est vraiment quelque chose de spécial qui aide les restaurants à se dépasser. Je voulais ça. »

Il va donc frapper à la porte du Eleven Madison Park. Là, il se fait offrir un emploi à l’issue d’une journée de stage. Il est ensuite promu sous-chef, avant de passer deux années à la recherche et au développement pour créer les plats du restaurant et ceux des autres établissements du groupe (le NoMad, notamment). Après la pandémie, il devient chef, puis associé en 2023.

Le plafond montréalais

Le jeune trentenaire se plaît certes beaucoup dans la Grosse Pomme, mais il garde une affection toute particulière pour le Québec, notamment Montréal et « sa scène culinaire exceptionnelle ». « Quand je dis que je suis québécois, la première chose dont les gens me parlent, c’est à quel point les restaurants sont délicieux et cools. On n’a rien à envier à ailleurs en matière de créativité, de qualité, de produits… »

Si la métropole québécoise n’a pas encore décroché d’étoile, au contraire de sa voisine ontarienne, c’est une question d’argent, estime le chef. « Quand tu as trois macarons sur ton menu, les gens sont prêts à payer un prix plus élevé, et ça fait en général une grosse différence pour les restaurants gastronomiques. Si tu doubles le prix de ton menu, tu vas être capable de faire deux fois plus : produits plus chers, plus grosse équipe, etc. Mais il y a un plafond dans ce que la clientèle montréalaise est prête à payer. Si on compare le prix de ses menus dégustation avec ceux de Toronto, ça n’a rien à voir ; c’est du quitte au double. »

Dominique Roy ne parle plus aujourd’hui d’ouvrir un restaurant au Québec, comme il l’évoquait par le passé. Il a adoré vivre à Montréal et il aime tout autant la province, mais il dit désormais se sentir « à la maison » à New York. « J’ai des projets pour les quelques prochaines années. Je suis très heureux ici, pour le moment. Mais… sait-on jamais ? »

Ce qu’il doit à New York, c’est surtout sa collaboration avec Daniel Humm, son partenaire au EMP, avec qui il cuisine, court plusieurs fois par semaine (voir encadré) et voyage de par le monde pour assister à des événements culinaires… « J’ai eu la chance d’avoir travaillé avec plein d’excellents chefs, mais le mentorat avec Daniel a été vraiment spécial. Lui et moi, on est très similaires, confie-t-il. Ces dernières années ont été les plus importantes et marquantes de toutes. J’ai toujours rêvé d’avoir mon restaurant à moi ; mais là, c’est plus grand que ce dont j’aurais osé rêver. »

Et Make it Nice, la compagnie derrière EMP, a de nouveaux projets en préparation : si le groupe a rapetissé pendant la pandémie pour se concentrer sur son restaurant phare, il veut maintenant grandir. En parallèle, Dominique Roy a à cœur de communiquer autour du végétalisme.

« Les gens pensent qu’on a pu devenir végane parce qu’on est le Eleven Madison Park et que nos menus sont très chers, mais que ce n’est pas à la portée de tous les restaurants. Nous, on veut démontrer le contraire. On veut faire connaître et partager ce qu’on fait, nos façons de cuisiner… Ça passera peut-être par un livre de recettes, par exemple. On mène beaucoup de projets pour atteindre cet objectif : rendre la cuisine végétale de plus en plus accessible, à de plus en plus de monde. »•


COURS, CHEF, COURS !

Il y a six ans, Dominique Roy a commencé à faire de la course à pied à un rythme soutenu. Et il voit beaucoup de parallèles entre la cuisine et le sport – surtout quand on pratique les deux à un haut niveau. « La course m’a vraiment aidé à grandir. Comme en cuisine, il faut réussir à se pousser et apprendre à être confortable dans des situations inconfortables », résume le chef. Travailler au EMP lui demande beaucoup de discipline, d’organisation, d’entraînement et de focus.

On lui demande souvent comment il arrive à courir aussi intensément et à faire des marathons malgré son horaire de travail très prenant. « Pour moi, c’est l’inverse : je ne pourrais pas faire tout ça sans pratiquer la course à pied, répond-il. Réussir à performer en cuisine avec le stress et le peu de sommeil qui va avec, ça demande de prendre soin de soi et de son mental. Moi, j’ai besoin de mon entraînement physique pour être un meilleur chef. »

Dominique Roy pourrait être qualifié d’hyperactif. Pour réussir à aller loin en cuisine, il faut certes être énergique et aimer les environnements intenses. Être hyperactif peut aider, mais il faut surtout aussi, selon le chef, être positif et très, très passionné… Un peu comme en sport, finalement.


 
f i i
© VRTKL.media (9405-7759 Québec inc.) 2012-2024 Tous droits réservés.
HRImag est un média francophone (site Web et magazine papier) qui offre de l'information de pointe sur l'industrie des HRI (hôtels, restaurants et institutions).






arrow_right
Semaine #26
-4.42 %arrow_drop_down
0.07 %arrow_drop_up
-4.66 %arrow_drop_down
De quoi s'agit-il ?
Cliquez ici