En l’espace de quelques années, la cuisson sous vide s’est démocratisée au point où monsieur et madame Tout-le-Monde explorent la technique dans leur cuisine résidentielle en suivant les recettes de Ricardo. Or, selon Bruno Goussault, le scientifique français qui a inventé la version contemporaine de ce type de conditionnement au début des années 1970 et qui a travaillé depuis avec les plus grands chefs de la planète, la multiplication des tutoriels disponibles sur Internet n’a pas que du bon. Elle aurait créé un climat de désinformation, voire de relative négligence devant cette technique de précision. « Il y a beaucoup de fautes d’inattention et surtout de manque de formation, notamment parce que les gens ne veulent pas dépenser pour faire les choses correctement. »
Cette tendance est aussi observée par les fabricants et vendeurs de matériel, qui s’évertuent à convaincre chefs et restaurateurs de la nécessité de lire les fiches techniques, d’assister à des démonstrations, de se former et de se doter de protocoles très rigoureux. « Avant un achat, ce sont peut-être 10 % des personnes intéressées qui passent par notre test kitchen pour qu’on leur fasse une démonstration. Par la suite, 50 % reviennent parce qu’elles se rendent compte que leur nouveau système ne fonctionne pas comme l’ancien », témoigne William Auger, représentant des ventes chez Atelier du Chef.
Sans doute est-il temps de faire le point sur les implications matérielles de cette technique qui fait désormais partie de la réalité d’un grand nombre de cuisines.
RÉUSSIR LE « SOUS-VIDAGE » PARFAIT
Alexandre Duhaime, représentant des ventes chez le fabricant et distributeur d’équipements Eurodib, est formel : devant l’évolution de l’offre en machinerie sous vide à l’interne, aucune raison de lésiner. « Nous avons assisté à une démocratisation du produit, devenu accessible à toutes les bourses. La marque Atmovac nous donne maintenant accès à une solution à partir de 1500 $ du côté des importations asiatiques. On a aussi des machines européennes haut de gamme, comme les Orved, qui peuvent coûter jusqu’à 15 000 $, voire 20 000 $. »
Cependant, le choix d’une machine ne devrait pas tant être dicté par le prix que par l’usage qu’on prévoit en faire. « Quels sont les besoins réels ? Quel sera le rythme de production ? De quelle typologie de produits parle-t-on ? » illustre Alexandre Duhaime. « De nombreuses options ne peuvent pas être rétrofittées, et il est très décevant d’avoir investi dans une pièce d’équipement qui ne fait pas ce qu’on aurait aimé », renchérit William Auger.
Voici donc un survol des opérations qui peuvent être traitées par le « sous-vidage » et la cuisson sous vide.
1- LA CONSERVATION
Le « sous-vidage » permet de conditionner des produits frais en vue de leur congélation ou surgélation, tout en maximisant la protection de leurs qualités et en minimisant l’espace requis. Il est primordial de tenir compte de la nature des éléments traités, car le processus varie grandement entre des petits fruits, des laitues tendres et une côte de bœuf !
2- LE PORTIONNAGE
Qu’on pense à une base de crème anglaise prête à être turbinée pour donner deux litres de crème glacée ou à des portions individuelles de poitrines de poulet qui pourront être décongelées à l’unité en basse saison dans un restaurant, le « sous-vidage » permet de rationaliser la préparation alimentaire dans les opérations de petit ou de moyen volume.
3- LA PASTEURISATION
Combinée à la cuisson sous vide, l’une des fonctions principales du « sous-vidage » consiste à préparer les produits à subir un cycle de pasteurisation qui détruira les pathogènes pour allonger leur durée de vie, en réfrigération comme en congélation. Ceci expliquerait sa popularité grandissante en milieu hospitalier et dans les résidences de personnes âgées, plus vulnérables aux toxi-infections.
4- LA MARINADE
Plusieurs thermocirculateurs haut de gamme sont dotés de cycles de marinage. L’introduction de liquides dans le sac de sous-vide a plusieurs conséquences sur le matériel associé à cette technique.
5- LA CUISSON À JUSTE TEMPÉRATURE
En soumettant les aliments à des températures basses extrêmement précises, on assure la tendreté et le caractère juteux des protéines animales ainsi que la saveur des végétaux. Ce type de cuisson permet aussi de réaliser certaines recettes standardisées avec une constance parfaite, peu importe qui effectue la manipulation.
6- LA RETHERMALISATION
Si la cuisson sous vide s’effectue généralement à une température inférieure à 85C, le réchauffage avant service peut atteindre les 100C. La température est donc un critère important dans le choix des sacs utilisés.
7- L’EXÉCUTION DE TECHNIQUES CULINAIRES « GASTRONOMIQUES »
Le « sous-vidage » – souvent combiné à la cuisson en thermocirculation – est devenu un véritable terrain de jeu pour les cuisiniers au cours des 10 dernières années, sous l’impulsion de chefs comme Thomas Keller et Daniel Humm. « Pensons à une fraise dans un sirop, évoque la chef pâtissière du Ratafia, Alix Marquis-Gobeille. Une fois compressée et cuite sous vide, elle aura une magnifique couleur rouge vif, elle sera un peu translucide et semblera particulièrement juteuse. »
DES CHOIX ÉCLAIRÉS
Une fois les besoins correctement établis, les chefs et restaurateurs gagnent à se familiariser avec les facteurs qui doivent les guider vers le choix d’une solution de « sous-vidage ».
1- QUALITÉ DE LA POMPE ET DES MATÉRIAUX EN GÉNÉRAL
Comme la sous-videuse est soumise à une forte pression atmosphérique, la qualité des matériaux et du design importe pour éviter une implosion.
2- PRÉSENCE D’UN SYSTÈME DE CONTRÔLE DES LIQUIDES
Une surveillance humaine constante s’avérera coûteuse, d’autant plus qu’elle peut faillir. Un arrêt prématuré compromet un résultat parfait, tandis qu’un « sous- vidage » tardif entraîne une explosion du produit en cuve, causant bris et pertes de temps en nettoyage. Les machines haut de gamme détectent ce moment critique et mettent automatiquement fin à l’opération.
3- FORME DE LA CUVE ET DU DÔME
Les cuves embossées, aux formes arrondies, sont plus faciles à nettoyer que les cuves soudées, dotées de joints et d’arêtes moins accessibles. Les dômes surélevés permettent d’effectuer du « sous-vidage » avec des pots Mason, utiles pour diminuer la dépendance au plastique, et de sous-vider des aliments plus volumineux.
4- DOUBLE CLOCHE
Elle permet d’augmenter la cadence de production en usage intensif.
5- CONCEPTION VERTICALE
Ces modèles conviennent parfaitement aux soupes, aux sauces, aux poudres et aux grains.
6- CAPACITÉS DE SCELLEMENT
« Si on a du volume à faire, il faut des barres de scellement qui permettent de sceller trois ou quatre sacs à la fois. Car 30 petits sacs, ça prend du temps à sous-vider, et on ne peut pas vraiment faire autre chose en parallèle », insiste Alix Marquis Gobeille. Si on prévoit sous-vider plusieurs préparations comportant des liquides, deux barres offrent une meilleure garantie d’étanchéité.
7- CYCLE DE DÉSHUMIDIFICATION DE L’HUILE DE LA POMPE
En boucherie, il est fréquent que la sous-videuse soit installée dans un réfrigérateur. Cet environnement froid nécessite des fonctions complémentaires qui lui permettront de bien fonctionner.
8- CONDITIONNEMENT
Les machines de meilleure qualité disposent généralement de nombreuses fonctions et programmes qui optimisent le conditionnement de divers produits, notamment le mode soft air (retour en atmosphère progressif), l’injection de gaz et le mode air plus.
9- IDENTIFICATION DU CONTENU DES EMBALLAGES
Les produits sont-ils destinés à la vente aux consommateurs ? Des fonctions de raccordement à une imprimante pourraient s’avérer des plus intéressantes.
CUISSON DOUCE, GRAND DÉFI
Moins exigeante sur le plan des équipements que le « sous-vidage », la cuisson à basse température nécessite au moins un thermoplongeur ou thermocirculateur et un bac contenant l’eau dans laquelle les produits ensachés sont complètement immergés.
La qualité de la pompe, la capacité de déplacement des liquides et la précision sont les critères à retenir en tête de liste. Si plusieurs chefs recourent à des cuves de fortune, Alexandre Duhaime croit que l’acquisition d’un contenant adéquat reste un bon investissement. « On va rechercher une cuve bien isolée en polycarbonate et dotée d’un couvercle pour éviter l’évaporation et la perte de chaleur. » Aux cuisiniers à la recherche d’une solution tout-en-un, il suggère le bac statique, un produit arrivé sur le marché il y a à peine deux ans. Celui-ci dispose même d’un robinet qui permet de vider l’eau facilement, sans risque pour les opérateurs.
Avec peu d’exigences sur le plan de l’entretien à part un détartrage régulier et un nettoyage des filtres, la thermocirculation demande davantage sur le plan technique. « Ce n’est pas pour rien que je parle de cuisson à "juste" température », insiste Bruno Goussault, qui en a fait son cheval de bataille. Malgré les progrès technologiques, l’intervention humaine pour mesurer la température des produits cuits sous vide grâce au placement précis de sondes demeure absolument indispensable à chaque cuisson, en plus d’un programme d’étalonnage des appareils. « Je constate que les chefs oublient toujours très vite les notions de température et, surtout, de mesure. »
L’AFFAIRE EST DANS LE SAC ?
Gaufrés (pour le « sous-vidage » externe), lisses (pour conservation ou pour cuisson), laminés (permettant la soudure de plusieurs sacs à la fois), de 90 à 200 microns... le monde des sacs en plastique est aussi vaste qu’il est vague. « Chaque fabricant a ses propres standards, mais la plupart des restaurateurs ne prennent pas le temps de lire la fiche technique et se disent qu’un sac est un sac. Ils magasinent le prix sans vraiment s’inquiéter des contaminants de type BPA qui peuvent se retrouver dans les plastiques économiques », signale William Auger.
Il n’existe aucun sac réellement biodégradable sur le marché, affirme pour sa part Bruno Goussault. C’est d’ailleurs l’une de ses plus grandes préoccupations quant à l’avenir de la technique. « Le matériau de remplacement ne doit pas être soluble dans l’eau, mais il faut qu’il soit parfaitement étanche, biosourcé (c’est-à-dire issu de produits de l’agriculture et non du pétrole) et biodégradable. On ne va pas crier victoire tant qu’on n’aura pas une solution aussi performante, mais on va y arriver d’ici 10 ans. »
En attendant, William Auger observe deux tendances populaires chez les chefs. « Certains estiment que le "sous-vidage" va contre leurs valeurs et se tournent vers d’anciennes méthodes comme la pasteurisation et la mise en conserve. D’autres vont se mettre à mieux réfléchir et à planifier l’utilisation des sacs ou combiner la technique avec la mise en pots. » Alix Marquis-Gobeille abonde dans le même sens. « Le sous vide, il y a 10 ans, c’était plus "Wow" ; aujourd’hui, on comprend que, plus on utilise les sacs, plus on produit de déchets. Se demander si on doit tout mettre sous vide ou choisir cette méthode pour répondre à certains besoins, ça, c’est plus 2020 ! »