« Une bébite à quatre têtes... » Voilà la périphrase inusitée que Marie-Anick Le Bon se plaît à employer lorsqu’elle évoque son restaurant, le Markina, situé à Saint-Bruno-de-Montarville, en Montérégie. « Une bébite », puisqu’il ne correspond en rien aux autres établissements qui peuplent les artères commerciales du Québec : on y offre à la fois des plats servis aux tables, des mets prêts-à-manger, ainsi que des repas prêts-à-cuisiner. « À quatre têtes », parce qu’il a été fondé par quatre femmes : une avocate, deux professionnelles du marketing et une experte en gestion hôtelière.
Marie-Anick est la dernière du lot. L’histoire est classique : son père, lui-même hôtelier, lui a transmis cette passion qui l’a amenée à entamer des études à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec (ITHQ). Quand elle était petite, elle allait le rejoindre pendant les vacances et courait de tous bords tous côtés avec lui, à même son lieu de travail. Impossible de faire autrement, car son métier très prenant occupait tout son temps. Il était toujours débordé, raconte l’ambitieuse. « J’ai tout fait pour ne pas l’imiter, mais voilà, c’était plus fort que moi : cette profession est inscrite dans mon ADN », note-telle en riant.
Pendant 25 ans, Marie-Anick fait carrière dans les équipes d’AccorHotels, de Germain et de Sofitel, entre l’Asie et le Québec, avant de revenir à ses anciennes amours : les classes de l’ITHQ. À une seconde reprise, elle y prend place, cette fois-ci bien à l’avant. Le plaisir qu’elle éprouve à enseigner ne comble toutefois pas sa fibre entrepreneuriale, qu’elle traîne en quelque sorte d’un emploi à l’autre, à la recherche du concept le plus novateur et prometteur qui soit. Un concept unique qui serait l’aboutissement de sa carrière. La cerise sur le sundae.
En 2010, l’avènement du prêt-à-cuisiner, une tendance culinaire en essor en Suède, parvient à ses oreilles. Elle entame alors une étude de marché internationale. En Finlande, aux Pays-Bas, en Allemagne, en France, au Canada, puis aux États-Unis, elle parcourt les commerces aux offres hybrides, qui mêlent restauration, produits déjà cuisinés ou boîtes d’ingrédients prêts-à-apprêter qui profitent de leur popularité. De cette quête d’inspiration naîtra, il y a bientôt deux ans, sa bestiole.
Le Markina est le premier restaurant de la province à proposer, sur place, du prêt-à-cuisiner. Cette approche correspond pleinement au mode de vie des familles québécoises, croit l’entrepreneure. « J’achetais moi-même du Goodfood et du Cook It en ligne. Avec trois adolescents à la maison aux occupations imprévisibles, c’était un vrai casse-tête, explique-t-elle. Je mettais des portions à la poubelle, ou encore les quantités étaient insuffisantes, et je me retrouvais à devoir exécuter deux recettes un même soir. » Comme bien d’autres, elle rêvait d’un endroit où elle pourrait s’approvisionner chaque jour, à la lumière de ses besoins ponctuels.
Mais pourquoi opter pour Saint-Bruno-de-Montarville, une agglomération située à moins de 30 minutes de voiture de Montréal, plutôt que pour la vaste métropole et son important bassin de consommateurs ? Parce que la formule du Markina, qui compte aussi un service traiteur, est un défi logistique à ne pas sous-estimer, croit Marie-Anick.
« Se lancer dans une plus petite municipalité pour se tester, avant d’atterrir dans un grand centre, c’est plus stratégique. La proximité avec la clientèle permet de s’ajuster à ses besoins et de corriger le tir rapidement lorsque c’est nécessaire », affirme-t-elle. La seule des quatre têtes qui est sur place dans l’établissement en plus d’y investir a dû, par exemple, réfléchir aux méthodes d’emballage. Dans le cas du prêt-à-manger, un système de consigne assurant la récupération des contenants en céramique est en place.
Discuter avec Marie-Anick Le Bon, entendre son rire contagieux et sans pareil, revient inévitablement à comprendre que cette entrepreneure visionnaire, stratégique et audacieuse a, elle aussi, quelque chose d’une « bébite »