Si vous croyez qu’offrir une cuisine santé à votre clientèle est synonyme de coûts plus élevés, détrompez-vous, il s’agit d’un mythe. Pour prendre un virage santé réussi, il faut avant tout avoir des objectifs clairs, bien planifier ses actions, réfléchir à leurs conséquences, adapter ses méthodes de travail, miser sur des recettes simplifiées et respecter sa clientèle.
« Contrairement à la croyance générale, “manger santé” ne signifie pas nécessairement dépenser davantage. Par exemple, incorporer plus de légumineuses à un menu est synonyme de coûts réduits ! Certains produits peuvent être plus chers, mais pas tous, au contraire. Plus le personnel est formé en cuisine et plus il sera en mesure de s’adapter à la production de repas plus santé. Généralement, cela veut dire travailler avec des aliments moins transformés, ce qui demande de pouvoir les transformer soi-même », explique Nadia Carufel, chargée du projet La santé au menu¹.
Un virage santé doit être pensé de façon globale, c’est-à-dire sur le plan des achats, de l’entreposage des denrées, des recettes, du matériel, du personnel et des clients.
SERVICES ALIMENTAIRES : CUISINER DAVANTAGE
Quand elle a fondé Laberge services alimentaires, Julie Laberge avait déjà en tête que la mission de l’entreprise serait d’offrir des repas santé à sa clientèle en milieu scolaire et aux entreprises.
« Notre philosophie, c’est que la qualité se cuisine. Nous n’utilisons pratiquement pas de bases, de mélanges, de poudres et de préparations commerciales. Notre modèle d’affaires est axé sur la production et nos cuisiniers sont très occupés. Nous faisons nos recettes nous-mêmes : soupes, sauces, pâtes à tarte ou à gâteau. Cela demande un savoir-faire et coûte plus cher en main-d’oeuvre, mais en revanche, nous économisons sur les produits et les ingrédients. »
Selon elle, le fait d’utiliser des recettes standardisées préparées par des sous-traitants n’est pas nécessairement rentable pour tous les services alimentaires.
« Pour obtenir un gain financier en achetant certaines bases à l’externe, il faut avoir un volume énorme, ce qui n’est pas le cas de notre PME qui exploite une dizaine de cafétérias. Par exemple, une soupe aux légumes cuisinée chez nous coûte 38 sous par portion et nous en contrôlons les ingrédients. Si on la faisait faire à l’extérieur, elle nous coûterait 68 sous. Les multinationales qui exercent leurs activités à bien plus grande échelle que nous fondent leur rentabilité sur l’achat de produits en très grande quantité et en réduisant le personnel puisqu’il y a moins de manipulation d’aliments. C’est un tout autre modèle d’affaires. »
C’est toutefois un défi de trouver des cuisiniers d’établissement capables non seulement de préparer les recettes sans utiliser de préparations standardisées, mais aussi d’en évaluer les coûts, constate Mme Laberge.
Pour calculer les valeurs nutritives et le coût de ses recettes, l’entreprise utilise le logiciel GestionRecettes. Elle fait également appel aux services de nutritionnistes en sous-traitance pour l’aider à concevoir et analyser ses menus.
HABITUDES DE TRAVAIL
Effectuer un virage santé implique de repenser des habitudes et des façons de travailler, souligne l’équipe de La santé au menu. Cela peut aussi vouloir dire dénicher de nouveaux produits, donc de nouveaux fournisseurs, et repenser les entreposages et l’organisation du travail.
« Le changement peut être déstabilisant pour des employés qui ont des routines de travail, et il n’est pas rare de voir de la résistance. Même si les employés sont favorables au virage, il leur faut avoir un minimum de connaissances pour améliorer les recettes ou introduire de nouveaux éléments au menu », dit-elle.
« Dans les cafétérias scolaires, cela a été un grand défi d’amener des changements après le dépôt de la politique-cadre du gouvernement Pour un virage santé à l’école, en 2007, car le personnel n’était pas habitué à faire beaucoup de manipulations. On utilisait beaucoup de recettes déjà préparées. En revenant à la cuisine de base, on contrôle mieux le contenu des recettes. Heureusement, les centres de formation professionnelle qui enseignent la cuisine d’établissement sont en train d’adapter leur formation aux nouveaux besoins », dit Claire Deraspe, nutritionniste-conseil, services alimentaires chez Genivar.
Les changements doivent être pensés de façon à bien s’intégrer aux routines de travail. Ils ne doivent pas être perçus comme une surcharge, dit Nadia Carufel.
« Il faut responsabiliser les employés et les amener à faire partie du changement, dit-elle. Si le changement leur est imposé et qu’il n’a peu ou pas de signification pour eux, ils auront plus de difficulté à l’adopter. »
LA RÉSISTANCE DES CLIENTS
L’un des aspects les plus délicats d’un virage santé est la réaction possible de la clientèle.
Nadia Carufel rappelle qu’il est important que la clientèle ait une bonne perception du changement. En fonction du milieu concerné, il est possible de faire des sondages, des dégustations de nouveaux produits et de communiquer les changements à venir pour éviter les frustrations. Des changements trop radicaux et mal communiqués à la clientèle peuvent entraîner un rejet de la nouveauté.
Le secret du succès est de trouver un juste équilibre entre plaisir de manger et santé, en dénichant des recettes qui marient les deux.
Selon Julie Laberge, contrairement aux mythes véhiculés, les jeunes du secondaire ne sont pas nécessairement tous accros à la malbouffe, mais de plus en plus conscientisés à la bonne nutrition.
« Ils sont curieux envers les nouveautés et leurs goûts se raffinent, dit-elle. Le pâté chinois réinventé aux patates douces et au poulet est l’une de nos recettes les plus populaires. Ils aiment aussi beaucoup les sandwichs et les salades qui s’apportent facilement, car ils sont très occupés par leurs activités parascolaires le midi et ne prennent plus une heure pour dîner. »
MÉLIOR, DES ENGAGEMENTS MESURÉS
Le programme Mélior a été mis en place par le Conseil des initiatives pour le progrès en alimentation (CIPA) dans le but d’inviter les entreprises à s’engager à améliorer leurs produits de façon volontaire. Il s’adresse à tous les acteurs de la filière agroalimentaire.
« Les engagements des entreprises concernent la réduction de sel, de sucre, de gras, la diminution des portions et l’augmentation des fibres. Les entreprises nous soumettent une charte d’engagements qu’elles ont deux ans pour réaliser, et nous accréditons cette démarche », dit Annick Van Campenhout, directrice générale du CIPA.
L’avantage pour les entreprises est de se positionner comme socialement responsables.
« Cela leur donne une bonne image d’entreprise, mais il y a un danger sur le plan des perceptions, dit Mme Van Campenhout. Le client va au restaurant pour se faire plaisir, et dans l’imaginaire collectif, la notion de plaisir n’est pas encore associée à l’idée de manger santé, malheureusement. »
Les restaurants Pacini ont été les premiers à s’engager envers Mélior. Leur engagement : réduire de 20 % la quantité de sodium dans 90 % du menu, une démarche qui a nécessité un an de recherches.
« Nous avons gardé la même carte en retravaillant la majorité de nos produits maison comme nos sauces, nos vinaigrettes et nos bruschettas. Cela fait en sorte que 90 % des plats au menu sont concernés. Mais nous ne nous sommes pas contentés de réduire le sel, nous sommes repartis d’une page blanche pour réinventer les recettes. Pour plusieurs sauces, nous avons également retiré des allergènes comme le gluten et le soya », dit Frédéric St-Aubin, chef exécutif.
Dans l’ensemble, cette révision a permis de diminuer la quantité d’ingrédients utilisés. Les nouvelles recettes sont simplifiées et plus proches d’une cuisine maison authentique.
« Une recette qui comptait de 30 à 40 ingrédients, dans certains cas, en compte maintenant de 16 à 20 », ajoute le chef.
En réduisant la quantité de sodium, il a fallu augmenter la présence d’autres ingrédients plus coûteux que le sel, comme les épices, les tomates ou le vin rouge, afin d’obtenir des plats aussi savoureux. C’est pourquoi, au départ, le chef craignait une augmentation des coûts, crainte qui s’est avérée non fondée.
« Les nouvelles recettes nous ont permis d’éliminer le recours à des poches d’assaisonnements standardisées assez coûteuses. L’économie réalisée par ce retrait a compensé l’ajout d’ingrédients plus chers que le sel, et finalement, les coûts demeurent les mêmes malgré la transition. »
Les plats Salmone alla griglia et Penne e bocconcuitto font partie des plats de Pacini qui ont été retravaillés pour atteindre l’engagement de la chaîne de réduire de 20 % la quantité de sodium dans 90 % de son menu.
« Pour rappeler à la clientèle qu’aucun compromis n’a été fait au niveau du goût, la stratégie de marketing consistera à promouvoir les recettes améliorées plutôt qu’à mettre l’accent sur la réduction de sel. La première vedette sera la nouvelle sauce bolognaise. »
« Nous ne positionnons pas notre démarche comme un virage santé sur le plan marketing. Nos actions s’inscrivent dans une démarche progressive pour donner le meilleur à nos clients. En 2006, on avait aboli les gras trans du menu en travaillant avec le CHUM [Centre hospitalier de l’Université de Montréal] ; par la suite, nous avons proposé un menu sans gluten et certains plats sans allergènes. Notre engagement de réduire le sel est une suite logique de cette démarche », explique Andréanne Charbonneau, directrice marketing et relations publiques chez Pacini.
¹La santé au menu est un programme qui vise à améliorer l’offre alimentaire en rehaussant le menu de plusieurs établissements de restauration fréquentés par les jeunes de 0 à 17 ans.