Devant la montée en puissance des réseaux sociaux, Instagram en tête, les hôtels et les restaurants doivent aujourd’hui se démarquer pour attirer la clientèle et la fidéliser. Les établissements ont l’obligation de se montrer extrêmement créatifs afin de proposer une expérience client remarquable et de créer des moments inoubliables. Mais comment signer une ambiance unique qui permette de se distinguer de la concurrence ? Quelles méthodes et techniques utilisent les professionnels pour réaliser le design dont tout le monde parle ? Sur quels détails mettre l’accent et, surtout, à quel prix ?
Pierre Brousseau est président et directeur artistique de Camdi Design, une entreprise qui compte parmi ses réalisations les hôtels William Gray, Renaissance Montréal Centre-ville et Entourage sur-le-Lac. À ses yeux, que le projet soit un petit restaurant de quartier ou un hôtel de 300 chambres, l’important est de toujours suivre le même processus, la même approche. « On rencontre le client ou la bannière qu’on doit desservir et on s’assoit avec pour bien comprendre sa vision. Dans le cas d’un restaurant ou encore d’un hôtel qui possède son propre restaurant, on discute avec le chef et le mixologue pour connaître le type de menu et la clientèle qu’ils viseront. C’est la meilleure chose à faire », explique-t-il.
Dans chaque dossier qu’ils traitent, Pierre Brousseau et son équipe se donnent une consigne de base : cibler les cinq sens. En exploitant la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat et le goût, « on essaie toujours de créer des microclimats, de raconter une histoire », mentionne le propriétaire de Camdi Design.
Pour créer une ambiance, il convient également de s’intéresser, dès le début, à l’emplacement. C’est l’une des priorités du Réseau Sélection qui imagine, développe, construit et gère des complexes résidentiels pour retraités. « On s’adapte aux marchés et aux secteurs. Je crois que, en tant que développeurs, on n’a pas le choix de prendre ces aspects en considération », explique Herbert Nunes, vice-président, Développement immobilier, du réseau. Et la stratégie fait mouche : l’entreprise québécoise a remporté deux prix internationaux à Londres à l’occasion du gala The Globals 2017 pour ses complexes Sélection Panorama Prestige de Laval et Sélection Vaudreuil Signature.
LA VUE
Popularité d’Instagram oblige, la vue est indéniablement le sens le plus mis en valeur. « Quand on ouvre la porte d’un restaurant, ça prend un effet WOW, que ce soit à cause d’un escalier monumental, d’un immense cellier ou d’un mur végétal », indique Pierre Brousseau, dont l’entreprise a notamment conçu les décors des restaurants Chez Victor de Beauport et du Vieux-Québec, Le Ferreira à Montréal, Siam au Quartier DIX30 et Bevo dans le Vieux-Montréal. Son avis est partagé par Marc-André Dandeneau, directeur général adjoint de l’Hôtel Le Crystal, situé à deux pas du Centre Bell, qui rappelle que les hôteliers « doivent en tout temps chercher à épater les clients, à leur offrir une vue impressionnante ».
La vue passe évidemment toujours par l’éclairage, qui peut permettre d’attirer les regards ou, au contraire, créer un environnement de calme, de sérénité, de relaxation. « Lorsqu’on entre dans la réception d’un hôtel, on débarque avec des valises ; c’est très mouvementé, très agité. Ensuite, on se dirige vers le hall, on tamise un peu l’éclairage pour diminuer l’excitation, décrit Pierre Brousseau. Lorsqu’on monte vers les chambres, l’éclairage du corridor devra être encore plus tamisé... Enfin, quand on arrive à la chambre, ce sera le calme total. »
Dans certains complexes du Réseau Sélection, l’utilisation de fenêtres de 16 pieds de hauteur permet aux résidents de se sentir à l’extérieur... en demeurant bien au chaud. C’est le cas notamment dans les aires communes comme les piscines et les gymnases. « Dans chaque projet, on essaie de mettre en valeur les éléments extérieurs », explique Herbert Nunes.
Au Sélection Belœil actuellement en construction, la salle à manger et le salon feront face au mont Saint-Hilaire. Dans certains de ses complexes, Réseau Sélection a même créé des jardins d’hiver pour permettre aux résidents de profiter de la lumière extérieure en restant à l’intérieur.
LE TOUCHER
Selon Pierre Brousseau, le sens du toucher est sollicité par les choix de tissus, de cuirs, de marbre... mais ça ne s’arrête pas là : « On doit toujours être plus créatif et chercher à amener le sens du toucher à un autre niveau. Par exemple, au Renaissance, on a imaginé un studio d’artiste dans une bibliothèque. Les gens peuvent feuilleter des livres de design, prendre des objets d’art dans leurs mains et se détendre. » Marc-André Dandeneau souligne pour sa part qu’il souhaite « meubler davantage » le lobby de l’Hôtel Le Crystal en y créant de petits salons et en plaçant quelques étagères remplies de livres.
Lorsque l’on s’adresse à une clientèle vieillissante en perte de mobilité, le sens du toucher revêt encore plus d’importance et amène, par exemple, à choisir « des poignées faciles à saisir, des mains courantes agréables à toucher », précise Herbert Nunes. Ce dernier croit que le sens du toucher sera également stimulé par la chaleur d’un foyer, de belles boiseries ou la pierre recouvrant les murs d’un salon ou d’un cellier privé.
L’OUÏE
Musique relaxante, chants envoûtants ou désastreuse cacophonie ? Le décor sonore peut créer l’ambiance parfaite ou détruire totalement l’expérience du visiteur. La musique doit donc s’adapter à la clientèle, mais également aux différents moments de la journée. « Il faut vraiment faire attention à la pollution auditive. Malheureusement, les designers ne pensent pas toujours à la réalité acoustique », se désole Pierre Brousseau. Pour améliorer l’acoustique d’une pièce, le directeur artistique suggère de meubler l’espace et de choisir des matières qui absorbent le son, comme des rideaux, des banquettes en tissu, des plafonds en gazon artificiel, des feutres sous les tables ou des panneaux acoustiques coussinés. « Ça prend de la masse », résume-t-il.
Pierre Brousseau indique que son plus grand défi acoustique fut la réalisation du restaurant OMG Burger à Sherbrooke, campé dans une ancienne église. Le chantier a demandé beaucoup d’ajustements et de créativité afin, justement, d’éviter la cacophonie tout en conservant le cachet de l’établissement religieux.
Pour meubler les lieux et stimuler le sens de l’ouïe de ses résidents, Réseau Sélection a installé des pianos à queue à des endroits stratégiques. Le but : permettre aux résidents de jouer de la musique et d’en écouter. L’entreprise cherche également des moyens de ramener la nature vers l’intérieur. « Est-ce qu’on peut aller puiser des sons ambiants de l’extérieur et les ramener vers l’intérieur ? C’est une question à laquelle on tente actuellement de répondre », s’enthousiasme Herbert Nunes.
L’ODORAT
Au cours des dernières années, plusieurs grandes chaînes ont tenté le marketing olfactif en développant des odeurs exotiques, un peu uniques, qui les différencient des autres. « Au William Gray, par exemple, l’odeur et la musique sont vraiment envoûtantes, fait remarquer Pierre Brousseau. On se souvient de son expérience. »
Mais l’élaboration d’une signature odorante n’est pas toujours gage de succès. Le Crystal a testé le marketing olfactif durant deux ans avant d’abandonner l’initiative. « On a réalisé que des membres du personnel et des clients étaient sensibles aux odeurs : il y avait des plaintes de maux de tête, des gens qui étaient étourdis, explique Marc-André Dandeneau. On a tenté d’atténuer l’odeur, mais on l’a tellement diminuée que ça ne valait plus la peine : on ne la sentait plus du tout. »
L’odorat et le marketing olfactif intéressent aussi Réseau Sélection, qui teste actuellement un projet-pilote dans deux de ses résidences. « On s’est beaucoup inspirés de ce que fait l’hôtellerie, relate Herbert Nunes. On cherche à développer des odeurs qui conviennent à nos résidents. Ces odeurs pourraient permettre aux personnes atteintes de troubles cognitifs de se rappeler où elles habitent. »
LE GOÛT
« On mange aussi avec les yeux », rappelle Pierre Brousseau lorsqu’est évoquée la question du goût. Le président de Camdi Design précise que lorsque son entreprise crée un décor de restaurant, tous les détails sont importants : de l’emplacement du cellier jusqu’à la présentationde la table. « On va aller jusqu’à se mêler du choix des ustensiles, de la sélection des coupes ou des serviettes de table. Il faut que la présentation soit impeccable », souligne-t-il.
Dans le restaurant principal du William Gray, Pierre Brousseau et son équipe ont même installé un mur d’épices et une salle de vieillissement de la viande pour stimuler les sens de la clientèle.
DES DÉFIS ET DES COÛTS
Certains hôteliers et restaurateurs prennent les devants et imaginent eux mêmes le décor de leur établissement. Mais lorsque l’on cherche à créer « le » lieu dont tout le monde parlera et, surtout, qui permettra de fidéliser la clientèle, mieux vaut souvent avoir recours aux conseils de professionnels. « L’expertise des designers, c’est de rentrer tout ce dont ont besoin les restaurateurs ou les hôteliers dans les pieds carrés existants, résume Pierre Brousseau. C’est le plus grand des défis, la base de tous les projets. » L’autre obstacle de taille consiste à faire accepter les budgets liés à l’acoustique et à l’éclairage. Ces deux éléments sont d’ailleurs les deux aspects les plus négligés par les responsables des HRI, note le directeur artistique.
Si l’ambiance constitue votre brique, le design, l’éclairage, les odeurs, les textures et la musique feront office de mortier... Mais ils ne peuvent, à eux seuls, assurer le succès de votre établissement. « Le contact avec les gens fait aussi partie de l’expérience client. On peut avoir le plus beau décor sans avoir de véritable ambiance », nuance Herbert Nunes.