« Je sais que le chemin sera long et rempli d’obstacles, mais j’espère que notre bannière comptera un jour 50 établissements… » Donald Desrochers, directeur général de la chaîne Marineau, est-il un doux rêveur, un gentil fou ou un superbe optimiste ? Aujourd’hui à la tête de quatre hôtels (deux à La Tuque, un à Mattawin et un à Shawinigan), le jeune dirigeant reconnaît que son projet peut sembler pharaonique, mais il répète à l’envi que ses rêves n’ont rien d’irréalisable. « Le modèle de la bannière nous offre une incroyable force de frappe. Il nous permet de rêver grand. » Très grand.
La scène hôtelière provinciale compte à ce jour une douzaine de bannières québécoises qui affrontent, au quotidien, des géants planétaires et des indépendants résilients. De taille variable, elles ont chacune leur propre histoire, leur propre philosophie, leurs propres objectifs. Leur point commun ? « Des acteurs sérieux, de plus en plus professionnels, avec de belles valeurs entrepreneuriales, parfois environnementales », résume Xavier Gret, PDG de l’Association Hôtellerie Québec.
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Date d’ouverture du 1er hôtel |
Nombre d’hôtels en 2019 |
Nombre de chambres total |
Groupe Germain (ALT, ALT+ et Le Germain) |
1988 |
18 |
2547 |
Marineau |
1932 |
4 |
183 |
Jaro |
1987 |
7 |
1215 |
Gouverneur (Gouverneur + OTL) |
1964 |
8 |
1339 |
Riotel |
1994 |
4 |
230 |
Grand Times |
2008 |
4 |
493 |
Imperia |
2007 |
3 |
232 |
C Hotels |
2010 |
5 |
307 |
Dauphin |
1963 |
5 |
511 |
Villegia |
2006 |
3 |
418 |
Accent |
1999 |
2 |
179 |
Nouvelle-France |
1982 |
4 |
72 (*) |
Sépaq (**) |
(non précisé) |
3 |
126 |
(*) Données incomplètes (**) Si on ne prend pas en compte les chalets et les campings, les établissements de la Sépaq (Auberge de montagne des Chic-Choc, Station touristique Duchesnay et Gîte du Mont-Albert) peuvent être considérés comme formant une bannière. Données fournies par Association Hôtellerie Québec.
Arguments de poids
Qu’elle regroupe deux, cinq ou dix adresses, la bannière possède plusieurs avantages sur lesquels elle devra miser si elle souhaite s’imposer, survivre, voire grandir.
Au quotidien, ce modèle permet notamment d’augmenter les volumes d’achat et de réaliser, dès lors, d’intéressantes économies. Mobilier, literie, savons, aliments : de la construction et de l’aménagement des chambres à l’achat des produits du quotidien, les propriétaires et gestionnaires peuvent effectuer d’appréciables gains.
Le marketing, « véritable nerf de la guerre en 2019 », se trouve aussi simplifié et facilité par l’organigramme horizontal des bannières, estime Jean-Thomas Henderson, professeur à l’ITHQ et à l’UQAM. « Vous pouvez accueillir un client dans votre hôtel de Percé en sachant tout — ou presque — de lui s’il s’est arrêté en chemin dans votre hôtel de Matane, poursuit l’enseignant. Les systèmes de points, les cartes de fidélité et les avantages clients prennent une autre dimension. » Sur les réseaux sociaux et dans leurs diverses communications, les bannières soulignent bien évidemment cet esprit de famille qui réunit les membres du clan. « Des hôtels différents offrant le même produit, cela rassure la clientèle, analyse Donald Desrochers. Si elle a testé et apprécié l’un des hôtels, elle sait qu’elle peut, en toute confiance, visiter les autres adresses de cette marque. »
Bannières, chaînes, groupes, réseaux... Ces appellations évoquent toutes une association d’hôtels, mais seules les premières sont observées et étudiées dans le présent dossier. « La différence est ténue, souligne Jean-Thomas Henderson (ITHQ/UQAM). Disons simplement que si la “chaîne’’ se définit généralement par des critères financiers et la dimension actionnariale d’investissements et de propriété, le concept de “bannière’’ repose plutôt sur l’image, sur l’esprit, sur l’adhésion à une philosophie partagée par les diverses parties prenantes impliquées dans l’expérience proposée. » Et l’enseignant d’illustrer ses propos par l’exemple du Groupe Germain, au sein duquel on retrouve trois bannières — soit
Alt,
Alt+ et
Le Germain — « qui ont chacune leur propre positionnement ». Dans le cas des acteurs de moindre envergure, note-t-il toutefois, la frontière entre ces entités théoriques peut s’effacer. «
Riotel est ainsi à la fois chaîne et bannière. »
Quant aux « groupes », aux « compagnies » ou aux « réseaux », ils peuvent rassembler des adresses fort différentes. Il arrive ainsi que l’on retrouve, au sein d’un seul et même regroupement, de « petits » hôtels indépendants et de célèbres enseignes présentes aux quatre coins du globe. Dans son portefeuille, le groupe hôtelier et immobilier Tidan possède, par exemple, les Travelodge de Montréal et de Québec, l’HOTEL10 montréalais ou encore l’hôtel La Saguenéenne de Chicoutimi.
En ces temps de pénurie de main-d’oeuvre, c’est sans aucun doute sur le plan des ressources humaines que la bannière représente un atout crucial. En plus de faire valoir les possibilités de faire carrière au sein du groupe et d’œuvrer au fil des ans dans différentes villes, les responsables ne manqueront pas, pour attirer les candidatures, d’évoquer les formations offertes et la perspective de gravir rapidement les échelons. Le tout se fait en soulignant et en rappelant, une fois encore, l’importance et la chance de faire partie d’un groupe soudé et solidaire.
Malgré ces nombreux avantages, les bannières québécoises n’en doivent pas moins fournir d’intenses efforts et se retrousser les manches. Il leur faut, au quotidien, rivaliser d’inventivité pour affronter de puissantes plateformes de réservations aux dents longues et des mastodontes aux budgets quasi illimités. Elles doivent aussi parvenir à convaincre les banquiers, généralement frileux lorsqu’ils se retrouvent face aux entrepreneurs du milieu hôtelier. Enfin, le défi ultime semble également le plus subtil : il s’agit pour ces dynamiques entreprises de trouver le juste équilibre entre leurs envies d’expansion et leur désir de proximité. « Construire un produit performant mais à taille humaine », paraphrase Xavier Gret.
Dans les moindres détails
En bâtissant leur bannière, tous les gens d’affaires devront, à un moment donné, répondre à une autre — et tout aussi épineuse — question : vaut-il mieux reproduire et imiter un concept qui a fait ses preuves ou distinguer et personnaliser chaque établissement du groupe ? « Il faut être efficace et logique, tranche Marie-Pier Germain, directrice des opérations au Groupe Germain. Pour être honnête, je vous dirais que le terme “standard’’ nous donne des frissons : on va donc se concentrer sur l’essentiel. Par exemple, dans chaque ALT, on cherchera à satisfaire les mêmes besoins : un lit confortable, une douche et une salle de bains propres… » Pour personnaliser chaque établissement, les équipes du Groupe Germain misent plutôt sur l’aspect humain et font confiance au personnel qui évolue dans leurs hôtels. « Et pas question de standardiser leur personnalité ! On veut qu’ils puissent être eux-mêmes, qu’ils puissent prendre leurs propres décisions. »
Ce que la clientèle ne voit pas directement (gestion, formation, centralisation des commandes, système de réservations, etc.) pourra donc être généralisé à l’ensemble de la bannière. Qu’il soit à Québec, à Montréal ou à Rimouski, le client s’attendra également à se voir offrir les mêmes services de base (comme le WiFi) et un confort comparable. Mais il faudra que les responsables de l’hôtel lui rappellent que, même s’il a opté pour une bannière, il a posé ses valises dans une destination bien précise, dans un environnement particulier. Lui proposer des produits locaux au déjeuner ou installer des œuvres d’artistes de la région permettra par exemple d’insister sur cette distinction.
« Dans chacun de nos hôtels, le style et la disposition du mobilier sont semblables. Jusqu’à l’endroit où l’on range la télécommande du téléviseur, mentionne Donald Desrochers. Ce qui change, par contre, ce sont les décors, les atmosphères, les ambiances. Dans toute la bannière, on parle de la Mauricie ; mais dans notre établissement de Mattawin, on rappelle que celui-ci fut le premier hôtel de la chaîne en 1932, on parle de la pitoune et de l’industrie du papier, on montre des photos historiques, on raconte des histoires locales... »
Pour plonger le visiteur dans « leur » réalité et s’ancrer toujours davantage dans le paysage, les différents maillons de la bannière peuvent également s’associer à un événement en particulier ou faire la promotion d’une certaine tradition. « Quoi de mieux, pour y parvenir, que de faire confiance à de fortes personnalités, à des membres du personnel qui connaissent la région ? » lance Jean-Thomas Henderson.
Les bannières hôtelières québécoises ayant des styles, des objectifs et des produits bien distincts, elles visent et atteignent des clientèles différentes. « Mais si les plus “gros’’ joueurs peuvent cibler un segment particulier, les plus petites bannières devront toutefois être parfaitement polyvalentes et capables d’accueillir aussi bien les gens d’affaires que les familles ou les touristes », note Jean-Thomas Henderson.
Pour les touristes ou les familles, le critère « bannière » ne constitue pas une priorité lorsque vient le moment de réserver une chambre. Leur choix sera plutôt influencé par le prix, l’emplacement ou la réputation de l’établissement. « À nous de leur faire comprendre que, grâce au système de fidélité, ils auront tout intérêt à visiter nos autres hôtels », souligne Donald Desrochers. La clientèle « corporative », elle, sera plus rapidement convaincue par les attraits et avantages de ce modèle. « Quand on sait que cela peut représenter des centaines de clients, mieux vaut bien faire comprendre aux directions des bannières qu’il y a là un certain potentiel », signale le professeur Henderson.
Modèle d’avenir
Bien qu’il ne soit pas propre à notre province, le modèle des bannières semble connaître plus de succès au Québec que dans le reste du Canada. « Il faut rappeler que, au Québec, on trouve 75 % d’hôtels indépendants contre 25 % d’établissements faisant partie d’une chaîne. Ailleurs au pays, c’est l’inverse, intervient Xavier Gret. Dans les autres provinces, où les grands groupes sont déjà bien installés, l’implantation de bannières peut donc s’avérer plus difficile. »
Sortir du territoire québécois pour s’aventurer sur ces marchés a priori hostiles représenterait donc une importante prise de risques. Pourtant, même si « tout ne s’est pas fait du jour au lendemain », c’est l’avenue choisie par Groupe Germain. En 2003, l’entreprise ouvrait les portes de l’Hôtel Le Germain Toronto, premier élément du groupe présent hors Québec. « Oui, cela constituait un risque, mais à nos yeux, cela avait du sens : on sentait qu’il y avait là une belle opportunité », analyse Marie-Pier Germain. Et le succès fut tel que le clan Germain a, depuis, inauguré des hôtels aux quatre coins du pays. Calgary, Ottawa, Winnipeg ou Halifax, 11 des 18 établissements que compte actuellement la constellation Germain se trouvent hors Québec. « Cela ne nous empêche pas de défendre notre culture et notre esprit québécois », assure la directrice des opérations, indiquant par exemple que c’est avec un enthousiaste « Bonjour ! » que les téléphonistes répondent aux appels.
Que ce soit sur le territoire québécois ou ailleurs au pays, les bannières semblent promises à un bel avenir, estiment les différents intervenants. Dans une industrie dynamique où il importe de se distinguer pour réussir et où chaque centime compte, elles offrent de belles perspectives et, si tout est pensé et pesé avec prudence, une certaine sécurité. « Surtout que, de nos jours, les clients veulent de l’authenticité, des expériences uniques, des saveurs locales », précise Xavier Gret. « Il y a encore de la place, au Québec, pour d’autres bannières, croit Jean-Thomas Henderson. Ce n’est qu’un début… »