Les HRI s’approprient l’eau pour faire une offre à leur image. Premier élément apporté à table, elle donne le ton tant par son emballage que son goût. Comment cette offre s’adapte-t-elle aux enjeux environnementaux, à l’achat local, à la consommation santé ou encore à l’inflation ?
« L’eau est l’un des biens les plus purs que l’on ait, souligne Romain Jadot, directeur des opérations au Fairmont Le Château Frontenac à Québec. Si elle se retrouve dans des contenants en plastique puis est transportée dans des avions-cargos jusqu’à Montréal avant de rejoindre par camion un entrepôt de Québec et enfin être livrée au Château, c’est qu’il y a quelque chose que l’on n’a pas compris ! » Les eaux d’importation comme Evian et Chateldon – perçues comme des produits de base de luxe – seraient ainsi vouées à disparaître de la carte. « Si l’on dit à des fournisseurs, même principaux, qu’ils n’auront plus le groupe AccorHotels s’ils continuent de nous livrer de cette façon, ça nous donne un pouvoir de négociation fort », précise le directeur des opérations.
Côté local, des décisions ont aussi été prises. Le Château Frontenac cessera d’utiliser du plastique à usage unique d’ici la fin de 2022. Or, Eska, qui était un partenaire privilégié, a décidé en mars 2021 de faire une transition complète vers le plastique entièrement recyclé. Le fournisseur a donc été remplacé par Flow, une entreprise située en Ontario qui propose une eau de source alcaline naturelle, embouteillée dans un contenant en carton fait à partir de matériaux renouvelables et recyclables, principalement d’origine végétale.
Quant aux bouteilles en verre, elles sont faites expressément pour l’établissement et réservées à l’offre de plats à emporter. Elles ne sont pas privilégiées, car la gestion du verre au Canada est jugée comme étant « défectueuse ». Nombre d’entreprises sont ainsi passées à l’aluminium, mais le matériau ne convainc pas encore le directeur des opérations : « Il n’y a pas d’entreprise canadienne qui gère l’aluminium. Celles qui en fournissent sont des entreprises de marque – qui font la couverture soit par impression, soit à travers un autocollant – et elles n’ont pas forcément de stratégie de garantie pour dire que les canettes proviennent d’un aluminium recyclé. On estime que l’aluminium utilisé est au maximum recyclé à 50 %. »
De son côté, Stéphane Nolet, fondateur de Maple 3, qui produit de l’eau d’érable offerte notamment au Fairmont Le Manoir Richelieu (La Malbaie), à la microbrasserie La Grange Pardue (Ham-Nord) et à Polytechnique Montréal, explique que son plus gros défi a été de faire connaître son produit en format Tetra Pak. « En France c’est connu, mais au Québec, on le voit comme un jus bas de gamme. C’est en fait un coffre-fort antibactérien puisqu’il permet une pasteurisation à haute température. À partir du moment où elle est dans le contenant, notre boisson reste bonne quasi indéfiniment ! » Celui qui exporte dans 10 pays – dont le Japon, la Corée et plusieurs pays européens – parle d’un contenu identique, mais d’un contenant qui s’adapte à la destination, que ce soit par la couleur ou la typographie.
Produire sa propre eau
Le Château Frontenac veut aller plus loin et produire son eau sur place. Pour ce faire, il souhaite installer des systèmes de microfiltration pour répondre aux différents besoins de l’établissement : l’offre en chambre, aux restaurants, lors d’événements d’entreprise… Une offre haut de gamme payante est ainsi nouvellement arrivée au restaurant Champlain : l’un des systèmes à l’étude inclut un charbon actif comprimé qui élimine les métaux lourds et résidus divers de l’eau. « On veut être un précurseur, un moteur pour que d’autres propriétés du groupe et des confrères nous emboîtent le pas, en espérant que ça devienne la norme très bientôt ! » s’enthousiasme Romain Jadot.
Il reconnaît que notre rapport à l’eau est propre à notre lieu de résidence. Si, au Québec, elle est de qualité, gratuite et offerte en pichet dès l’arrivée des clients au restaurant, l’expérience de la clientèle étrangère pourrait être tout autre. « On va garder une carte d’eaux parce que, malgré tout, on doit offrir une diversité à nos clients », prévoit le directeur des opérations. Il pense ainsi offrir deux eaux plates et deux eaux gazeuses.
Selon Joris Gutierrez Garcia, sommelier du restaurant montréalais Le Club Chasse et Pêche, les restaurants haut de gamme qui ont beaucoup d’espace de stockage et une clientèle internationale ont intérêt à avoir une offre en eaux diversifiée. Leur clientèle peut être très curieuse et vouloir partir à la découverte de produits locaux, d’Autriche ou encore d’Italie. Elle pourrait aussi vouloir jouer avec différentes bulles ou degrés de salinité… Par contre, dans un établissement plus classique, un choix d’eau naturelle et un autre d’eau pétillante seraient suffisants. L’option d’offrir un deuxième choix d’eau pétillante serait recommandée dans le cas où le premier produit aurait de très grosses bulles ou serait très salé.
Naturizzata Water Co. met pour sa part à disposition des HRI un procédé breveté de filtration et de purification au charbon de noix de coco conçu par la société italienne Sidea Italia, avec une technologie qui se sert de la lumière ultraviolette pour tuer les bactéries. Présente au Québec depuis 12 ans – notamment à l’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec, au Delta Hotels Montréal et à la Pizzeria Geppetto –, elle compte aujourd’hui quelque 300 clients. Cette croissance s’expliquerait par une meilleure connaissance des procédés de production de l’eau embouteillée, une plus grande prise de conscience des enjeux environnementaux et une volonté de créer une expérience en établissement.
Elle propose ainsi plusieurs modèles de machine à filtration : entièrement sur le comptoir ou en partie en dessous pour se présenter comme un fût de bière, et des fontaines en accès libre-service. L’eau servie peut être naturelle et à température ambiante – davantage consommée par la clientèle européenne – ou accompagnée d’une eau naturelle et d’une eau pétillante réfrigérées. Il est possible de paramétrer la température en fonction des préférences, tout comme la finesse de la bulle. Le logo de l’établissement peut également figurer sur la bouteille de service, pour mettre en avant les valeurs environnementales de l’entreprise.
Le sommelier estime que l’eau devrait être servie systématiquement et que, s’il y a de la place sur la table, la bouteille devrait toujours s’y retrouver, tant pour montrer aux clients ce qu’ils boivent que pour signaler aux employés de la remplacer quand elle est vide. Sans oublier que l’eau permet aux clients de s’hydrater, voire de gérer un peu mieux leur taux d’alcool.
Avoir goût pour sa santé
L’objectif de Naturizzata Water Co. est de garder tous les minéraux de l’eau et, contrairement à ce qui se passe dans le cas de l’eau embouteillée, d’exclure le sodium et les agents de conservation. Annamaria Piccioni, vice-présidente au développement des affaires de l’entreprise, compare également l’eau pétillante et l’eau gazéifiée : « La première est plus raffinée que la deuxième. Elle a des bulles plus douces, grâce à un équilibre entre la pression et la température. Il s’agit davantage d’une infusion, tandis qu’une eau gazéifiée reçoit une injection de CO2. » Joris Gutierrez Garcia explique que boire une eau pétillante fraîche, par exemple à huit degrés, va garder les bulles un peu plus précises ; la servir dans un verre étroit préservera les bulles plus longtemps.
Maple 3, qui a lancé l’an dernier une version pétillante de son eau d’érable, se présente comme un substitut santé aux boissons sucrées artificiellement. « De notre côté, il s’agit d’un sucre naturel qui vient directement de l’arbre. Il est en plus faible en calories : 30 à 35 par portion de 355 ml. La consommation de notre produit favorise donc beaucoup moins l’obésité ou le diabète », assure Stéphane Nolet. Il complète son propos en parlant des 46 nutriments bioactifs contenus dans la boisson, des électrolytes et des minéraux.
Quant à la qualité de l’eau d’érable, elle dépendrait principalement de l’âge de l’arbre et de son environnement – s’il a vécu des sécheresses, des automnes pluvieux… L’érable commence à accumuler ses sucres dans les racines sous forme d’amidon à partir de juin et jusqu’à septembre, dans le but de préserver son bourgeon au moment des saisons plus froides. Jusqu’à présent, le réchauffement climatique ne nuirait pas à la qualité de l’eau, mais il contraint les producteurs à s’adapter chaque année aux températures et aux coulées de la saison printanière. « L’eau d’érable est un produit de luxe pour sa qualité, mais elle est accessible à tous. En ce qui concerne le prix, on est comparable aux sodas », assure le fondateur.
Gagner temps et argent
Pour concevoir l’eau du Château Frontenac, plusieurs critères sont suivis, dont un goût le plus neutre possible et des propriétés optimales. « L’objectif est que ce soit une eau présentant des propriétés spécifiques qui puissent être racontées, valorisées et vendues, annonce Romain Jadot. Bien que l’on veuille assurer une qualité de prestation et d’eau, on reste un établissement avec des objectifs économiques, et le marché de l’eau est un marché très significatif ! »
Un gain de temps et d’argent pourrait être enregistré par un établissement si, au lieu d’avoir un employé d’hôtel qui dépose une bouteille d’eau dans chaque chambre, une fontaine à eau était mise à la disposition de tout l’étage. Cela permettrait aussi d’offrir à la clientèle un accès illimité à de l’eau filtrée, et ce, en tout temps. Avoir un système de filtration ou de microfiltration permet aussi d’éviter d’importer de l’eau – ce qui inclut de dresser un inventaire, de passer la commande, d’assurer la réception et le stockage.
« Nos clients adorent avoir un litre d’eau en 10 secondes, renchérit Annamaria Piccioni. Comme les bouteilles sont conçues spécialement pour la restauration, elles sont vraiment solides. Leur bouchon permet en plus de garder l’eau bien pétillante, même si elle est préparée 72 heures à l’avance. Si vous avez par exemple un grand banquet le samedi soir, vous pouvez les préparer le jeudi matin. » Une autre occasion d’économie, puisque, sans bouteilles, plus besoin de gérer la récupération des bouteilles vides et leur recyclage.
« Le souci qui se présente à différents restaurateurs est que l’eau représente de bons revenus, soulève Joris Gutierrez Garcia. Je trouve ça un peu spécial de faire payer une eau filtrée ou gazéifiée sur place, qui n’est pas une eau de source. Mais si on ne facture pas, on perd des ventes. En revanche, c’est bien plus écologique que les bouteilles, donc c’est un beau dilemme ! »