SELON UNE ÉTUDE MENÉE PAR L’ORGANISME GOUVERNEMENTAL RECYC-QUÉBEC EN 2016, À PEINE LA MOITIÉ DES PATRONS DES INDUSTRIES, COMMERCES ET INSTITUTIONS DE LA PROVINCE (ICI) CONSIDÈRENT QU’UNE SAINE GESTION DES MATIÈRES RÉSIDUELLES EST RENTABLE SUR LE PLAN FINANCIER. SI LES OPINIONS DIVERGENT, C’EST QUE LES RETOMBÉES ÉCONOMIQUES DU TRI VARIENT ÉNORMÉMENT D’UNE MUNICIPALITÉ À L’AUTRE.
Le conteneur à déchets placé à l’arrière de la pizzeria gastronomique Chic Alors ! est bien petit. Sa modeste dimension ne pose toutefois pas problème, puisque presque rien n’y est jeté. Croûtes de pizza, restes de pâtes, serviettes souillées, cannettes vides : 98,5 % des résidus générés par le restaurant sont recyclés ou compostés.
Le propriétaire de l’établissement, Hugues Philippin, économise 18 000 $ en frais de collecte d’ordures chaque année. Si ses économies sont aussi impressionnantes, c’est que son commerce est situé à Québec, une ville où l’enlèvement des ordures est très coûteux pour les entreprises et les institutions (au-delà de 220 $/tonne) par rapport à celui, moins cher, des matières recyclables et organiques.
Pour les gestionnaires des ICI de la Capitale-Nationale, réclamer le transport de lourdes quantités de détritus plusieurs fois par mois n’est pas rentable, puisque la municipalité facture au poids et au nombre de levées. « En sortant de la poubelle tout ce qui peut être ramassé gratuitement ou à moindre coût, on évite des dépenses inutiles », résume Hugues Philippin.
Du cas par cas
Dans d’autres municipalités du Québec, le calcul est beaucoup moins évident. « À Montréal, par exemple, les tarifs d’enfouissement sont très bas, ce qui rend les options de récupération moins avantageuses », explique l’expert-conseil en gestion de matières résiduelles Mathieu Painchaud-April, qui dirige l’un des bureaux de la firme Chamard stratégies environnementales. Dans plusieurs régions, le coût du recyclage et du compostage est similaire, voire supérieur à celui de l’enfouissement.
L’enseignant à l’École de tourisme, d’hôtellerie et de restauration de Mérici Christian Latour et Mathieu Painchaud-April s’accordent sur un point : il n’existe aucune règle d’or dictant la rentabilité d’une gestion résiduelle écoresponsable. « Dans une même agglomération urbaine, sur une même avenue, les structures de coûts sont multiples, et les services offerts diffèrent, rappelle le premier. À Montréal, rue Sainte-Catherine, les mêmes pratiques environnementales entraînent des gains dissemblables d’ouest en est », ajoute-t-il.
Plus rentable, partout
De plus en plus de municipalités cherchent à encourager le tri en entreprise et en institution en y associant des incitatifs financiers. Comme Québec, elles proposent un service de recyclage gratuit ou récompensent les bonnes conduites. C’est notamment le cas de Rimouski et de la MRC du Rocher-Percé, où les gestionnaires ont tout à gagner à arborer une poubelle à moitié vide, puisqu’ils sont facturés en fonction de la pesée réelle de leurs ordures et non au conteneur.
« Après s’être appliqués à la promotion de comportements écoresponsables auprès de leurs citoyens, les décideurs municipaux s’attaquent désormais au secteur privé et institutionnel, indique Mathieu Painchaud-April. Ce qu’ils leur disent, c’est qu’ils ont tout intérêt économiquement à récupérer et à composter », affirme-t-il.
Une tendance qu’observe Recyc-Québec, qui souligne, dans son dernier bilan publié en 2015, qu’un « nombre toujours plus significatif » de villes récupèrent les matières organiques de leurs ICI, bien qu’elles soient à ce jour encore peu à le faire. L’organisme ignore cependant leur proportion exacte. Dans le tiers des municipalités québécoises, le service est offert aux citoyens.
Au fil des ans, la réduction de l’empreinte environnementale sera plus rentable partout dans la province. En attendant, les directions organisationnelles innovent. Elles s’ingénient à trouver des moyens d’augmenter leur rendement, malgré les services peu avantageux parfois à leur portée.
Solutions économiques
L’hôtel Le Saint-Sulpice, luxueux édifice en plein cœur du Vieux- Montréal, s’est muni d’un compacteur à cartons pour réduire ses dépenses liées au recyclage, qui doit être effectué par le privé. Cet investissement de 7 000 $ sera remboursé en moins de trois ans, car l’appareil permet au directeur général, Yanick Beaulieu, de commander jusqu’à 30 % moins de levées. « Avant, nos bacs à recyclage débordaient, nous étions obligés de mettre du carton à la poubelle », se remémore-t-il, révélant du même coup qu’il conserve davantage d’argent dans ses coffres en allégeant sa boîte à ordures.
À l’Auberge de la rivière Saguenay, à La Baie, les déchets étaient ramassés chaque semaine avant que Pauline Gagnon ne prenne possession de l’établissement, il y 16 ans. Aujourd’hui, les camions passent quatre fois par année, maximum. Chaque mois, plus de 500 $ restent ainsi dans les poches de l’établissement.
La Baleriveraine a horreur de jeter. Elle transforme tout ce qu’elle peut en engrais, qu’elle utilise dans ses platebandes, car sa municipalité ne ramasse pas les résidus biodégradables. Ses surplus, elle les donne à une employée qui possède un « immense potager ». Les cannettes de bière ou de boisson gazeuse et les savonnettes utilisées sur place sont récupérées par la Maison d’accueil pour sans-abri de Chicoutimi. Les os des morceaux de viande sont donnés aux chiens du voisinage. Les carcasses de volaille sont même soigneusement triées, afin que les bêtes ne s’étouffent pas avec de trop petits morceaux. Les sacs de pain vides sont réemployés pour protéger les légumes, et les serviettes de table restées propres servent à nettoyer d’éventuels accidents.
Conscience environnementale
Par-dessus tout, l’aubergiste Pauline Gagnon essaie de réduire à la source. En salle à manger, son personnel questionne les clients pour éviter le gaspillage. « On demande tout ce qu’on peut : s’ils veulent du pain, une tomate et de la salade dans leur plat, on le sait. Les assiettes et les portions sont faites sur mesure », raconte fièrement celle qui aimerait pouvoir tout acheter en vrac.
Ces comportements, la propriétaire les adopte surtout par conviction, par souci de protéger la planète. Elle est bien consciente qu’ils rapportent peu. « Vu tout le temps de formation et l’énergie qu’on y consacre... », avoue-t-elle en riant, sans terminer sa phrase.
Christian Latour le reconnaît : l’écoresponsabilité a un prix. Pour bien gérer ses matières résiduelles, il faut investir dans le coaching des employés, l’achat ou la location de bacs, les services de transport, l’affichage et même les conseils d’experts. « L’adoption de bonnes pratiques ne sera rentable que si notre clientèle est sensible au respect de l’environnement », avance le spécialiste. Après les entreprises, les institutions et les municipalités, c’est au tour des consommateurs d’assumer leur part de responsabilités.